À l’occasion de la saison France-Israël 2018, la galerie LA Joaillerie par Mazlo, le Fonds de Dotation Robert Mazlo pour l’art et le bijou contemporain et l’association Arketip ont le plaisir d’accueillir l’exposition «Morphogenesis».
Ce corpus rassemblant des oeuvres sélectionnées parmi différentes séries réalisées par Attai Chen et Carina Shoshtary est une invitation à observer la "genèse des formes".

Hormis une commune inspiration puisée dans la nature et le spectacle de la vie, ces deux artistes partagent l’utilisation pragmatique de matériaux ayant déjà une ou plusieurs vies, au premier rang desquels se placent le papier pour Attai Chen et les graffitis pour Carina Shoshtary.
Rien de très original a priori pour ce qui concerne le papier, puisqu’il s’agit là d’un matériau fréquemment utilisé par le bijou contemporain, mais c’est sans compter sur le traitement sculptural dont il fait l’objet dans les oeuvres d'Attai Chen. Quant aux graffitis formés d'innombrables strates de peinture et
prélevés sur un mur, ils constituent un matériau novateur plutôt inhabituel qui permet à Carina Shoshtary d’exprimer son amour pour les couleurs et les textures. Chacun à sa façon parvient ainsi à transmettre à son matériau de prédilection des qualités plastiques, expressives et métaphoriques exceptionnelles qui contrastent avec ses propriétés strictement décoratives.
On pourrait voir dans cet attrait commun pour les surfaces planes et la peinture une lointaine réminiscence de leur vocation précoce pour l’art et le dessin, puisque tous deux se destinaient à l’origine à l’étude de la peinture. Mais ce serait réduire leur démarche à une exploration purement formelle de la matière. Or rien de tel chez Attai Chen et Carina Shoshtary. Chez eux, au-delà de ses qualités plastiques intrinsèques, le matériau fait avant tout écho par sa modestie et sa pauvreté aux questionnements soulevés par les enjeux sociaux et environnementaux qui agitent leur conscience et le monde contemporain.
Pour autant, ici s’achèvent les rapprochements entre ces deux univers car chacun a su développer individuellement un propos aussi radical que singulier.

Qualifié de « prodige du bijou contemporain » par Glenn Adamson, Attai Chen compte probablement au nombre des artistes les plus talentueux de sa génération. Dès ses débuts, son approche vise à capturer le passage du temps au travers d’une forme. Et c’est dans la dualité inhérente au paysage au milieu duquel il grandit qu’il va d’abord puiser son inspiration.
Né à Jérusalem, il est durablement marqué par l’âpreté des contrastes visibles dans la nature environnante : d’un côté la sécheresse minérale du désert, de l’autre la luxuriance des champs d’oliviers. Ce sont les tonalités sourdes, minérales des ocres et de ces verts mâtinés de poussière qui vont composer sa première palette de couleurs. Plus tard, lorsqu’il élit finalement domicile à Munich puis dans la campagne bavaroise, sa palette s’augmente de nouvelles tonalités en écho aux rythmes des saisons qui dans cette nature généreuse retentit peut-être plus fort encore que dans n’importe quel autre paysage.
D’abord formé à l’art de la bijouterie à la Bezalel Academy of Art and Design de Jérusalem, c’est à Munich, sous la direction d’Otto Künzli qu’il va véritablement commencer à intégrer le papier et les matériaux les plus pauvres (bois, graphite) à ses oeuvres. Il confesse cependant qu’il lui est impossible de partir d’une feuille blanche. La matière qu’il emploie doit être usée, utilisée, constellée d’empreintes, de stigmates, d’écritures. Toutes ces marques d’une vie passée qui forment le terreau de son inspiration. 
Car c’est sous l’angle de la temporalité qu’Attai Chen s’ingénie à capturer la nature et la matière vivante, à en saisir les formes et les cycles au travers de leurs signes extérieurs de croissance et de déliquescence. Quelle que soit la série concernée, Terra Mutantica ou Compounding Fractions, l’artiste prend à rebrousse poil la conception traditionnelle et ornementale du bijou et nous renvoie sans complaisance à la question des processus, aux mutations à l’oeuvre au sein de la matière car c’est en ce mouvement que réside pour lui la beauté. En expressionniste, Il cherche moins à séduire qu’à mettre en émoi: chez lui, la matière n’est pas inerte. Pas l’ombre d’une nature morte. Elle semble au contraire se transformer, s’animer sous nos yeux dans un jeu de décomposition et de recomposition permanent.

Ce point de vue s’illustre parfaitement dans sa dernière série en date "Matter of Perspective" dont quelques exemples seront exposés. Dans ce corpus, Attai Chen explore cette fois le paysage urbain tout en cherchant à s’abstraire des leçons des maîtres de la Renaissance en matière de perspective. L’artiste tente ici de renouer avec une vision purement empirique, héritée non pas de la rationalisation et du calcul mathématique, mais de l’expérience et des perceptions individuelles. Il en résulte des paysages aux accents cubistes, dont les contours épousent la forme de médaillons rappelant les dioramas, ces dispositifs optiques et illusionnistes nés au 19ème siècle. En reprenant à son compte ce principe de la fenêtre ouverte sur des mondes miniatures, Attai Chen cherche manifestement à s’inscrire avec ses oeuvres dans une histoire plus vaste que celle du bijou. Car c’est bien de l’histoire du regard et de cette idée de représenter l’écoulement du temps en capturant le mouvement dont il est question ici.
Dans ses corps à corps débridés avec la matière, Attai Chen questionne la validité de nos critères esthétiques et met en scène la relativité de la notion de beauté et de préciosité. Ses oeuvres palimpsestes, qui dissimulent en leur sein des strates de vies et d’histoires, privilégient l’authenticité et la sincérité du moment présent capturé dans sa réalité parfois la plus triviale, voire dérangeante.

 

De son côté, Carina Shoshtary opte pour le pragmatisme d’une chasseuse-cueilleuse moderne. En parfaite osmose avec son environnement, elle se saisit de tous les matériaux qui se présentent à elle: coques de fruits secs, coquillages, bois flotté ou sec, papier et surtout fragments de graffitis urbains. Depuis plusieurs années déjà, elle collecte ainsi patiemment l’une des principales matières premières de ses oeuvres, notamment à Munich sur l’un des rares murs légaux attribués par la ville au street art. Tel le cueilleur guettant la chute du fruit de son arbre, elle doit non seulement attendre de voir tomber des lambeaux de ces fresques contemporaines mais aussi composer avec les nécessaires limites imposées par les palettes de couleurs utilisées par les graffeurs. À la manière pointilliste, elle les réduit ensuite en une multitude de sequins qui viennent épouser la surface de volumes qu’elle façonne à l’aide de bois ou de fils d’acier.

Carina Shoshtary compose ainsi des objets aux allures de parures chamaniques dont se dégage une sensualité à la fois violente et contenue. Ici un collier rappelle la ramure d’un cerf, là des pendants d’oreilles empruntent leur contours aux pattes d’un oiseau.
Les larges aplats formés de perles de verre aux couleurs primaires — le rouge sang, le bleu roi — tranchent avec la douceur bariolée des surfaces tapissées de confettis.
Difficile de ne pas y voir l’évocation d’une peau et de son revers. L’artiste semble en effet exposer simultanément à notre regard deux faces d’un même corps: l’épiderme et la chair palpitante. À moins qu’il ne s’agisse d’une correspondance poétique et synesthétique entre psyché et perception de la couleur comme le souligne le titre de la série « Karma Chroma »?
Ses oeuvres nous renvoient à une forme de magie animale, à l’intimité du corps, à l’érotisme du dévoilement, à l’évocation de la matrice des formes. Elle semble suggérer que sous le vernis apparent de la culture (une culture urbaine et contemporaine symbolisée par l’ordre des motifs composés de graffitis) se cache une force souterraine et chaotique, cette source de vie indispensable à la création.

À l’image de l’épiderme de notre terre soulevé par l’onde invisible de la marée terrestre causée par la gravitation de la Lune et du soleil, les oeuvres de Carina Shoshtary et d’Attai Chen semblent capturer une onde de vie organique et souterraine échappant à toute logique. Leurs oeuvres s’adressent à ce besoin ancré en tout être humain de parer son corps d’un fragment de cette Nature à la fois redoutable et fascinante pour s’approprier une partie de sa force créatrice, une parcelle d’éternité.

 

Exposition 8 - 27 décembre 2018. Ouverture les 28 et 29 décembre et du 2 au 5 janvier 2019.

Vernissage  8 décembre, 16-19 heures.

Du mardi au vendredi 14:00 - 19:00.
Le samedi 11:00 - 13:00 et 14:00 - 19:00.

CARINA SHOSHTARY


D’origine germano-iranienne, Carina Shoshtary nait en 1979 à Augsbourg, en Allemagne. Après une formation classique d’orfèvre à Neugablonz de 2001 à 2004, elle étudie le bijou contemporain de 2006 à 2012 auprès du professeur Otto Künzli à l’Académie des Beaux-Arts de Munich, où elle obtient le diplôme de "Meisterschüler" en 2012.
Ses oeuvres ont été exposées dans des musées  internationaux tels que le Musée des Arts Appliqués de Francfort, la Pinakothek der Moderne à Munich, le Ruthin Craft Centre en Angleterre ou encore dans des salons tels que la Biennale internationale de l’artisanat de Cheongju (2013) en Corée du sud. Son travail est également présent dans les collections permanentes de collections publiques : la Fondation Rotasa (Californie), le musée Röhsska de Göteborg, le Musée international du design de Munich. En 2012, elle reçoit le Bavarian State Prize for Emerging Designers ainsi que le Upper Bavarian Prize for Applied Arts. En 2013, elle fait partie des finalistes du Sponsoring Award de la ville de Munich puis en 2016 du Art Jewelry Artist Award.

ATTAI CHEN


Né au sein d’une famille d’artistes en 1979 à Jérusalem, Attai Chen vit et travaille à Munich, depuis 2007. Diplômé de l’Académie Bezalel des arts et du design de Jérusalem en 2006, il part ensuite étudier à l’Académie des Beaux Arts de Munich auprès du professeur Otto Künzli et obtient son diplôme en 2012.
Ses œuvres figurent dans de très nombreuses et prestigieuses collections parmi lesquelles la  collection Donna Schneier au Metropolitan Museum of Art de New York (États-Unis), la Fondation Rotasa en Californie, la collection Helen Drutt à Philadelphie, la Neue Sammlung de Munich, le musée d’art de Tel Aviv, le Musée d’art israélien de Jérusalem.
Qualifié de « prodige du bijou contemporain » par Glenn Adamson (critique, auteur, curateur indépendant et ancien directeur du MAD New York), Attai Chen reçoit très tôt la reconnaissance de ses pairs, alors même qu’il est encore étudiant. Ainsi il remporte en 2010 le prix Herbert Hofmann à Munich et en 2011, le prix Oberbayerischer pour les arts appliqués. En 2014, il se voit décerner le prix Andy d’art contemporain, qui lui vaut d’exposer en solo au Musée d’art de Tel Aviv.

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