Les voies de l’artiste sont innombrables pour approcher la question du Divin. Le titre polysémique choisi pour l’exposition annonce l’incarnation en chaque artiste de sa méditation sur le divin exprimée à travers ses oeuvres. Le Divin et moi, le Divin émoi mais aussi le Divin en moi et dans mon oeuvre.
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L’exposition proposée par LA Joaillerie par Mazlo invite à observer les processus qui agitent l’être humain aux prises avec ses questionnements métaphysiques. Ce faisant, elle renonce au cadre étroit d’une remise en question des dogmes, pour faire de l’Art et de l’intimité de l’artiste, l’espace d’investigation du spirituel, débordant les limites strictes d’une croyance.
Les images créées pour cette occasion reflètent le champ référentiel de chaque artiste, exposent de chacun d’eux, origine, éducation, culture, inspirations… Mais toutes ensemble, unies dans un même mouvement, elles témoignent d’une démarche universaliste. Ici, il s’agit moins d’inventer de nouvelles icônes ou de représenter le Divin, que d’en isoler les possibles manifestations en l’homme et dans son environnement. Manière de suggérer le souffle de l’Esprit à l’oeuvre en l’artiste.
Renversement ironique. Partis questionner le Divin, les artistes finissent par replacer l’être humain et sa condition au centre de leur propos. Dieu se serait-il fait homme ?
À travers leurs oeuvres, le résultat de leur quête, ils nous invitent à découvrir à notre tour les positionnements possibles dans ce face à face intime avec la notion complexe de Transcendance : la célébration ou la défiance, l’interrogation et même le doute, l’absurde voire l’(auto) dérision.
Ainsi envisagée, en respectant la liberté individuelle et en laissant libre cours à la curiosité réciproque, la notion de Divin n’est plus perçue comme une pierre d’achoppement. Mais comme le seuil d’une maison commune où se rassembler, se retrouver.
Se retrouver autour de la notion de Divin, mais face à la diversité de son expression. Par ses choix “artistiques et esthétiques”, l’artiste clame sa prise de position pour transformer son expérience singulière et a priori indicible du Divin en une expérience de l’Art, accessible à tous. C’est sur le terrain du médium, des savoir-faire et de la réappropriation des “genres” et des symboles qu’apparaîtront des points de divergence. Comme autant de portes d’entrée, les trois lectures suggérées par le titre de l’exposition ouvrent sur la complexité de cette notion : le Divin et Moi, le Divin émoi, le Divin Moi
1. Le Divin et Moi
Le Divin et Moi met en scène l’individu face à l’idée du Divin. Il interroge son essence et la possibilité même d’une représentation. Artiste graveur, Nathalie Grenier, nous offre sa réponse « en creux », sous la forme d’une quête. Le voyageur solitaire comme les groupes de marcheurs, communient en un même mouvement pour devenir des allégories d’un cheminement spirituel, d’une recherche intérieure.
Chez Mazlo, ce face à face va jusqu’à prendre des allures de saut vertigineux dans l’inconnu. Ici, l’immobilité engendrée par la stupéfaction semble répondre au mouvement des oeuvres de Nathalie Grenier. Ses personnages, figés dans leur élan, étirent le temps (suspendu) dans l’attente d’une possible révélation.
Dans un autre registre, le joaillier se réapproprie les symboles de dogmes établis et les réintroduit dans une démarche de type oecuménique, voire syncrétique. Il revisite la figure antique de la déesse mère sous les traits d’une Vierge. Celle-ci, investie à son tour du rôle d’ange annonciateur, fait face à la nudité féconde d’une femme en devenir. À l’archétype de la déesse de la guerre et de l’amour, l’Inanna sumérienne, il redonne vie sous les traits de Jeanne d’Arc qui, à son tour, figure l’ambivalence d’une divinité également dispensatrice d’amour et de mort. À la fois créatrice et destructrice, bienveillante et terrifiante.
2. Le Divin Émoi
Le Divin émoi s’attache à la représentation de l’expérience mystique. Il saisit les états passagers de l’être, la fugacité de l’instant. Tous ces moments rares et intenses de l’existence, autant de morsures à l’âme par lesquelles l’lnconnu peut se manifester. Le corps devient ici réceptacle. Le théâtre vivant de la manifestation du Divin.
L’émotion se lit ainsi dans la sensualité des courbes, dans l’enchevêtrement des corps nus, dans la fusion et l’énergie fébrile des couleurs de Nathalie Grenier. La Nature dépeinte dans ses gravures est envisagée comme l’espace d’une révélation passant avant tout par l’exaltation des sens. Ainsi en est-il de ses marcheurs de Mortefontaine : ils évoluent avec volupté sous les ramages de pins parasols, non sans évoquer les accents platoniciens des Correspondances de Baudelaire :
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Chez Mazlo, la douceur caressante de l’émoi se laisse deviner sous les contours séduisants de la (petite) mort : la figure du plongeur trouve dans la couleur turquoise de l’eau un passage paisible vers l’au-delà tandis que la vision extatique de la sainte (à moins que ce ne soit Léda?) se mue en une ardente convulsion amoureuse.
3. Le Divin Moi
Le Divin Moi place l’artiste face à sa légitimité de “créature” à jouer au Créateur. Bérengère Hénin se saisit du genre de l’autoportrait, s’inscrivant dans la lignée de graveurs-dessinateurs comme Dürer. En réponse au maître allemand, qui ose se dessiner sous les traits du Christ, la jeune artiste s’autorise un contre-pied irrévérencieux : elle envisage l’autoportrait comme l’expression ultime de la Vanité. Elle alterne les registres pour mieux questionner la fatuité de l’artiste élevé (par lui-même) au rang d’idole.
Lyrique, elle se met en scène au milieu de fleurs accusant le caractère transitoire de la vie humaine. Ironique, au travers d’une représentation frontale dépourvue de la moindre complaisance à l’égard d’elle-même. Elle se campe négligemment dans une robe de chambre ou au contraire, vêtue d’un pull dont le raffinement lui vole ostensiblement la vedette.
Burlesque, elle apparaît nue mais dotée des attributs viriles du héros mythologique Hercule ou déguisée en Batman pour brocarder une toute puissance masculine érigée en dogme sous les traits de supers héros.
Chez Bérengère Hénin, le Divin Moi s’affiche comme un manifeste doublement frondeur. Dans la critique amusée de la toute puissance d’un artiste rendu grotesque par la mise en scène d’un ego démesuré. Comme dans l’appropriation par une femme de codes de représentation réservés au divin Mâle.
Mazlo questionne lui aussi les rapports entre la créature et son Créateur, en mettant en scène la fragile position de l’artiste, à la fois auteur et sujet de ses Vanités. Car dans le bijou, objet inutile par excellence et symbole éprouvé du Memento Mori depuis la Renaissance, s’ancre une mise en abîme étourdissante : la vision absurde d’une humanité condamnée à capturer le temps au travers d’un objet qui lui survivra.
D’ailleurs, pour mieux rendre compte du caractère nodal du temps dans notre rapport au Divin, le joaillier propose de filer la métaphore. Il matérialise le temps de la Création, sous la forme de variations autour des bijoux créés pour l’exposition. Certaines pièces exposées restent ainsivolontairement inachevées. Leur création, accompagnée d’oeuvres graphiques et photographiques, évoluera tout au long de l’année, au fil des vernissages.
Se manifestera alors au vu de tous le processus de maturation. Les doutes et les repentirs. Les errances et les fulgurances. La genèse d’un bijou habité. Amen
Oeuvres présentées dans cet article dans leur ordre d’apparition :
- Nathalie Grenier, Le Mat et l’Autre, 2012. Eau forte. Dim. : 25/33 cm.
- Chloé Mazlo, Extrait de la série “Histoires de Famille”, 2014. Feutre et encre de Chine sur papier.
- Robert Mazlo, Jeanne amoureuse, 2013. Bague, pièce unique. Or rouge, platine, diamants, pyrite, médaille en doublé or du XIXème s.
- Nathalie Grenier, Les Marcheurs de Mortefontaine, 3, 2012. Eau forte. Dim. : 25/33 cm.
- Bérengère Hénin, Portrait de l’artiste en robe de chambre. 2012. 21 x 29,7 cm. Stylo feutre et crayon de couleur sur papier.
- Robert Mazlo, Didon et Énée, 2013. Bague, pièce unique. Or jaune, platine, brillants, topaze à inclusions, pointe de lance en bronze antique.
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