Auteur : Robert Mazlo
Titre : Castiglione
Bague pièce unique
Composition : Or rose et or vert 750/000
Octaèdre de diamant brut brun mordoré, diamants taille brillant, brun et champagne.
Comme souvent lorsque je crée un bijou, tout est parti de la pierre. Ici en l’occurrence, un octaèdre de diamant brut d’un beau brun mordoré. Le personnage de Castiglione n’est apparu que dans un second temps au cours de la genèse de cette bague, que j’ai créée à l’occasion de l’exposition « Diamant comme Moi ». Elle s’inscrit dans une réflexion sur les analogies existant entre la condition humaine et la façon dont notre époque perçoit le diamant.
1. À propos du diamant
Le diamant est un peu LE sujet bateau de la joaillerie. On nous le sert régulièrement à toutes les sauces et sous tous les angles, que ce soit « les diamants célèbres », «Comment choisir son diamant selon les 4C», «Les légendes et les malédictions du diamant»… On a probablement tout dit et tout entendu à son sujet.
Pourtant, il me semble que l’on passe toujours à côté de l’essentiel. D’abord parce que le diamant n’est pas une pierre exclusivement incolore. Toutes les couleurs existent à l’état naturel en plus ou moins grande proportion dans le diamant. Cette variété que l’on rencontre dans les diamants réside essentiellement dans la présence d’impuretés (azote, bore, hydrogène, nickel), d’inclusions (carbone nanocristallin ou graphite) ou encore dans des phénomènes physiques tels que les déformations plastiques. Car au cours de sa croissance dans le manteau terrestre, entre 150 et 1000 km de profondeur, le diamant qui est composé de carbone, rentre en contact avec d’autres éléments chimiques (minéraux ou gazeux) présents dans son environnement de naissance. C’est ce qui forme son ADN en quelque sorte. Et le plus merveilleux, c’est que lorsque cette pierre est expulsée jusqu’à la surface de la terre au cours d’éruptions volcaniques explosives, elle nous rapporte avec elle les rares témoignages connus de la nature physico-chimique de notre sol. Autrement dit, toutes ces inclusions nous racontent l’histoire de la terre sur laquelle nous vivons.

Diamant sur kimberlite. Droits réservés – © 2010 Parent Géry sur wikimedia Commons.
Lorsqu’on sait cela, on ne peut plus regarder un diamant de la même façon. Ses inclusions deviennent des paysages fantastiques dans lesquels on peut voyager inlassablement…La perfection du diamant incolore et facetté, la sophistication de la taille sont évidemment des merveilles du génie humain. Mais tout cela n’est rien à côté du prodige de la nature. Pensez tout de même que l’une des formes brutes naturelles du diamant est un volume géométrique parfait, l’octaèdre (deux pyramides à base carrée accolées par leur base) ! Rien de moins que l’un des solides de Platon.

Octaèdre animé. Droits réservés- © 2004 André Karwath aka Aka via Wikimedia Commons.
La mode et le marketing tendent à réduire le diamant à une pierre parfaite, éternelle, « glaciale » diront certains. Et il est vrai que les pierres dépourvues d’impuretés ou d’inclusions sont rares. C’est d’ailleurs ce que les personnes qui rejettent le diamant lui reprochent le plus souvent. Et je leur donne raison, car littéralement, un diamant pur et incolore ne nous raconte pas grand chose. C’est une page blanche.
Chez les pierres comme chez les êtres humains, la perfection peut devenir ennuyeuse, car sans surprise. Ce sont nos expériences, bonnes ou mauvaises, nos blessures, nos failles qui font de nous ce que nous sommes et qui nous rendent intérieurement riches et remarquables. C’est aussi ce qui nous singularise et nous rend unique. Seulement, l’époque est à la standardisation des goûts et des apparences… Ce qui est unique est d’abord perçu comme « différent », pour ne pas dire suspect, et non comme « singulier » et donc digne d’intérêt.
2. BALDASSARE CASTIGLIONE
Partant de ces réflexions, le personnage de Castiglione s’est rapidement imposé. Au travers de cette bague, je souhaitais mettre en scène l’idée d’une perfection naturelle, non pas optimisée mais plutôt travaillée : par l’effort, par l’éducation, par le travail volontaire du corps et de l’esprit.
L’être humain vient au monde pourvu de toutes les potentialités. Mais c’est en se travaillant lui-même, grâce à la culture, à l’éducation, à l’affûtage de ses qualités naturelles qu’il a le pouvoir de devenir une personne meilleure et surtout, un être véritablement libre et affranchi des croyances qui l’emprisonnent dans l’ignorance. L’esprit humaniste célèbre la connaissance comme clé de la liberté. Baldassare Castiglione, avec son manuel de savoir-vivre à l’usage du parfait courtisan incarne parfaitement cet état d’esprit.

Raffaello Sanzio da Urbino, Portrait de Baldassare Castiglione, vers 1514-15, Musée du Louvre [Public domain], via Wikimedia Commons.
J’ai donc d’abord imaginé de mettre en scène mon octaèdre en l’entourant de vide, pour que l’œil puisse embrasser ses huit facettes.
3. La Vanité
Ne cherche pas, Leuconoé, c’est sacrilège,
Quelle fin les dieux nous ont donnée ; les horoscopes,
Ne les consulte pas : mieux vaut subir les choses !
Que Jupiter nous accorde ou non d’autres hivers
Après cette tempête qui brise la mer tyrrhénienne
Sur les écueils rongés, sois sage, filtre ton vin,
Coupe les ailes de l’espoir. Nous parlons, le temps fuit,
Jaloux de nous. Cueille le jour sans croire à demain.
En revoyant le portrait de Castiglione peint par Raphaël, j’ai de nouveau été fasciné par la sensualité discrète qui s’en dégage. Le courtisan, l’homme qui est représenté, tout de noir vêtu, presque austère, n’est pas un être de rigueur. Du moins pas seulement.
Il y a de la retenue, de la maîtrise, mais aussi énormément de vie dans la douceur et le luxe des matières, le frémissement de la barbe, l’éclat de ses yeux bleus et vifs. J’y ai vu l’occasion d’orienter mon bijou vers le genre de la Vanité.
Mais comme une vanité qui ne dirait pas son nom.

La Roue de Fortune, Tarot des Visconti par Bonifacio Bembo, XVe s. [Public domain], via Wikimedia Commons.
Je ne suis pas très amateur des Vanités-Memento Mori qui penchent vers le Baroque, vers une sur-signification de la mort. Pour Didon & Énée, qui est également l’une de mes rares bagues Vanité, le parti pris est un peu plus évident mais ici je tenais absolument à rester dans l’esprit hermétique de la fin de la Renaissance. Cette bague se situe davantage du côté de l’esprit du Carpe Diem d’Horace. Le regard de Castiglione est une invitation bienveillante et confiante à vivre, à exercer son esprit. Son regard ne vous met pas en garde. Il vous interroge paisiblement.
L’octaèdre m’a donc fourni ce qui me manquait encore : le mouvement. Cueillir le moment présent, c’est garder à l’esprit que ce qui est, n’existe pas pour toujours. Rien n’est acquis, rien ne dure. Tout bouge, change et évolue. Le diamant lui-même, pourtant roi du monde minéral, est né d’un atome de carbone et peut en un instant revenir à l’état de poussière si on le plonge dans le feu…
J’ai forgé le corps de bague en or rose sur l’enclume. L’octaèdre tient pas simple pression entre les deux extrémités du jonc de métal. Il pivote sur lui-même, un peu comme un sablier que l’on retourne une fois rempli, mais ici ce n’est pas ce que j’avais en tête à vrai dire. Je pensais davantage aux chapelets ou aux passe-temps que j’ai toujours vus portés par les hommes en Orient.

Lucas Cranach l’Ancien, Portrait d’un homme, vers 1508, Met Museum, New York.
Je voulais reproduire ce mouvement très particulier que font ensemble le pouce et l’index pour égrener les perles. Et, de fait, le diamant tourne sur lui-même comme une sphère pour matérialiser cet écoulement du temps. Pour finir, j’ai ajouté un fil d’or vert qui vient souligner la fragilité de tout cet édifice en équilibre instable qu’est la vie.
J’ai beaucoup de tendresse pour cette bague car elle opère en sourdine. Sa forme abstraite, dépourvue de toute référence littérale à son sujet en fait un objet accessible. Une vanité classique aurait été plus intimidante. Pour celui ou celle qui la porte, qui seul(e) connaît le message qu’elle véhicule, elle remplit sa fonction de rappel à soi.
Bibliographie et sites en rapport avec cet article:
- Aron J.-P., La tragédie de l’apparence à l’époque contemporaine. In: Communications, 46, 1987. pp. 305-314.
- Brunet R., Le diamant. Un monde en révolution, Éd. Belin, 2003. (lien vers l’article de J.-L. Tissier)
- Baldassar Castiglione, Le livre du Courtisan, 1528.
- Moutier F., Étude d’une collection de diamants. Analyse, classification, identification. Diplôme d’Université de Gemmologie présenté devant l’Université de Nantes U.F.R des Sciences et des Techniques, 2007.
- Thomas P. & Cardon H., Quelques diamants bruts naturels, 2011. ens-lyon.fr.
- Thomas P., L’Origine des diamants, 2001. ens-lyon.fr.
- Rondeau B., Fritsch E., Moore M., Sirakian J.-F., Morphologie du diamant : combinaison de plusieurs modes de croissance. Les diamants «coated» et les diamants astériés. Revue de Gemmologie a.f.g., 2005, n°154, pp. 13-17.
- Rondeau B., Fritsch E., Moore M., Sirakian J.-F., Diamants cubiques ou presque cubiques : quelques définitions utiles sur la morphologie. Revue de Gemmologie a.f.g., 2005, n°153, pp. 13-16.
- Sautter V., Diamants au coeur de la Terre, au coeur des Étoiles. Revue de Gemmologie a.f.g., 2002, n°145/156, pp. 25-29.
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